L'injure politique, qui se pratique dans tous les pays, a atteint dans le nôtre une quasi-perfection, peut-être parce que nous la pratiquons depuis des siècles. Je vous en ai apporté la liste. Elle est réjouissante et montre à quel point l'imagination de nos politiques est inépuisable dès qu'il s'agit de crucifier leurs homologues. C'est De Gaulle disant de Pétain : « Ce fut un grand homme, je m'en souviens très bien, je l'ai vu mourir en 1925. » Sous l'Occupation, le ministre de l'Éducation se nommait Abel Bonnard, et on le surnomma à Vichy « Abel Connard ». Il était homosexuel et très proallemand. Pétain l'appelait « La Gestapette ». Clemenceau disait d'Aristide Briand : « Même quand j'aurai un pied dans la tombe, j'aurai l'autre dans le derrière de ce voyou. » Ses adversaires disaient de Jaurès : « Il faudrait lui mettre dans la peau le plomb qui lui manque dans la tête. »
À force d'exalter le crime, on finit par inciter un crétin à le commettre. Charles Maurras menaçait publiquement Blum de le trucider avec un couteau de cuisine. Raymond Poincaré, dont le cousin Henri était un brillant mathématicien, était surnommé « Le cousin de l'intelligent ». Clemenceau, encore lui, en remettait une couche : « Briand ne sait rien et il comprend tout, Poincaré sait tout et il ne comprend rien. » Édouard Hierrot disait en parlant de Le Trocquer, qui avait perdu une main pendant la guerre de 14-18 : « C'est le seul manchot que je connaisse qui touche des deux mains. » Maurice Thorez traita Blum « d'abject animal », Fallières se fît traiter de « bœuf tout juste bon à mener à l'abattoir », Jules Moch de « faisan », Guy Mollet de « limace » et Paul Reynaud de « rat ». Mitterrand se fit traiter de « Madone des aéroports » par Poniatowski, et lui-même épingla Giscard d'un « Mozart de la manivelle ».
Alain Krivine lui le traitait de « vieux crabe ». Édith Cresson disait de Bérégovoy : « C'est une enflure », et Rocard de Mitterrand : « Ça n'est pas un honnête homme. » De son côté, Mitterrand, à la fin de son second septennat, quand on lui demandait qui il voyait pour lui succéder répondait : « Dans l'ordre, Balladur, Fabius, Chirac, mon chien, Rocard. » Marie-France Garaud, qui fut avec Pierre Juillet l'égérie de Chirac, laissa tomber, quand le maire de Paris se sépara d'elle : « Je croyais qu'il était du marbre dont on fait les statues, il n'était que de la faïence dont on fait les bidets. » J'aurais garde d'oublier le jugement d'André Santini sur Arpaillange, ministre de la Justice : « Saint Louis rendait la justice sous un chêne, Arpaillange la rend comme un gland. » Cela touche à la poésie. Après la dissolution de 1997, qui amena Jospin au pouvoir, Bayrou déclara : « Moi, quand je fais un saut à l'élastique, je m'attache à un élastique. » Quand Daniel Cohn-Bendit vint conforter le « oui » au référendum sur la Constitution, Chevènement dit aimablement : « On voit bien que c'est un Allemand, il revient en France tous les trente ans. » Mais l'injure la plus surprenante, cerise sur le gâteau, est : « Espèce de vieil enc… », lancée à l'Assemblée nationale par Jeannette Vermersch, députée communiste et épouse de Maurice Thorez, à Maurice Schumann, ministre des Affaires étrangères et l'un des pères fondateurs de l'Europe. Injure inattendue d'abord parce qu'elle fut lancée par une femme et surtout parce qu'elle ne s'appuyait sur aucune preuve vérifiable.