RÉSUMÉ
« J'ai écrit ce texte dans une démarche de vérité, pour moi-même, mes parents, mes enfants, mes proches, et dans un but thérapeutique. Si j'ai accepté de le rendre public, c'est dans l'espoir de contribuer à changer le regard sur le VIH, ce Mal à Dire ; et pour que ceux qui traversent une expérience comparable à la mienne, celle de la honte et du secret qui rongent l'âme, celle de la maladie qui sème inexorablement sa terreur, puissent s'y reconnaître, et, pourquoi pas, y trouver quelque raison d'espérer. »
Comment réagir lorsqu'on apprend à l'âge de quinze ans qu'on est séropositive ? À la fin des années 80, cette annonce est encore une sentence de mort. Plus encore que la peur de mourir, c'est la honte qui submerge la jeune Anne. Issue d'une famille de la classe moyenne, son père, descendant d'un émigré algérien, lui a donné une éducation rigoureuse, la poussant à viser l'excellence pour prouver sa bonne intégration sociale. Sa rencontre avec un jeune homme, adepte des paradis artificiels, avec qui elle n'aura fait l'amour que quelques fois, aura suffi à tout gâcher. La faute à pas de chance. Mais la jeune Anne n'est pas du genre à se laisser abattre. Pour survivre au vif sentiment de culpabilité qui l'assaille, elle choisit d'enfouir son secret, et de se dépenser sans compter quel que soit le nombre d'années qu'il lui restera à vivre. Ses parents, qui connaissent son véritable état de santé, l'aiment et la soutiennent, mais ils gardent eux aussi le silence autour de sa maladie. Un non-dit qui touche jusqu'à son petit frère. Alors la jeune fille se mure de plus en plus dans le déni et se jette à corps perdu dans la pratique sportive et les études. Curieusement, plus elle feint de nier la présence du virus mortel dans son sang, plus la vie lui sourit. Ce phénomène la conforte dans l'idée qu'elle a raison de n'en parler à personne. Dans les mois qui suivent, ayant poursuivi, comme si de rien n'était, un entraînement physique intense, elle devient championne de France d'escrime par équipes. Bientôt elle rejette tout traitement médical, refuse de prendre le terrible AZT qu'on prescrit à l'époque aux séropositifs. Plus question d'entendre parler du VIH car, après tout, y a-t-il le moindre espoir qu'elle y survive ? Aucun traitement n'est porteur d'espoir, les patients qu'elle a pu croiser à l'hôpital sont tous moribonds, alors à quoi bon lutter ?
Continuant de feindre qu'elle n'a rien, véritable miraculée, puisque aucun symptôme grave ne vient perturber le cours de sa vie, elle réussit brillamment ses études et entame une carrière dans le secteur du tourisme. À 22 ans, pour ne plus trop tenter le diable, elle décide de reprendre contact avec le milieu hospitalier. Les tri-thérapies sont sur le point d'apparaître et la jeune femme peut enfin envisager l'avenir. Elle « monte » à Paris, prend du galon dans la société qui l'emploie et tombe amoureuse de l'homme qui deviendra son compagnon actuel. Lui avouer son secret est un supplice, mais il accueille la nouvelle sans sourciller. Quelques années plus tard, une équipe médicale de l'hôpital Cochin leur propose de suivre un protocole particulier pour leur permettre d'avoir des enfants. Un parcours du combattant qu'ils traversent avec succès, deux fois de suite. Anne met au monde une fille puis, trois ans plus tard un garçon. Grâce à ces deux grossesses très médicalisées, aucun des enfants n'a hérité du virus présent dans l'organisme de leur mère. La jeune femme qui pensait ne jamais pouvoir donner la vie est comblée.
Avec la même énergie combative, Anne Bouferguène continuera sa remarquable ascension professionnelle, malgré la contrainte au quotidien d'effets secondaires lourds et handicapants des trithérapies. Mais depuis qu'elle est devenue maman, plus question de jouer avec le feu. Elle suivra son traitement à la lettre. Dans son entourage, les personnes qui connaissent son secret se comptent sur les doigts d'une main. À 34 ans, elle est devenue directrice générale de la société Jet Tours. Mais à quel prix ? Pour la première fois de sa vie, elle est épuisée, n'a plus le temps de profiter de sa famille, les signes extérieurs de réussite sociale ne suffisent plus à la combler. Bien qu'elle ait le sentiment d'avoir restauré l'honneur de son père, quelque chose cloche dans sa vie, mais elle ne sait pas quoi. Elle sait juste qu'elle ne peut plus continuer comme ça et que ses forces sont en train de l'abandonner. C'est à ce moment-là qu'elle comprend : depuis vingt-deux ans, elle porte le poids de sa maladie en silence, sans jamais pouvoir l'exprimer. Ses rapports avec autrui sont sans cesse biaisés, faussés par le rôle de composition dans lequel elle s'est enfermée. Aux yeux du monde, sa réalité est insoupçonnable, plus encore depuis qu'elle est devenue mère. Ses beaux-parents, ses amis, ses relations professionnelles les plus proches ne savent pas qui elle est, ni ce qu'elle endure. Pas même ses enfants, avec qui elle ne parvient pas non plus à nommer sa maladie. Il est temps pour elle de faire face à la vérité. Persuadée qu'elle est en train de payer le prix d'un trop long mutisme, elle décide alors de témoigner au grand jour pour se débarrasser de sa honte. Et, peu à peu, sa vision d'elle-même et du monde commence à changer. Elle commence à s'accepter.