Minute par minute, la catastrophe du 11 septembre racontée de l'intérieur par l'un des rares Français qui l'ait vécue: un document d'un réalisme saisissant.
Bruno Dellinger a quarante ans. Il dirige une société dont les bureaux étaient installés au 47e étage de la tour n°1 du World Trade Center. Lui et ses trois employés...
Bruno Dellinger a quarante ans. Il dirige une société dont les bureaux étaient installés au 47e étage de la tour n°1 du World Trade Center. Lui et ses trois employés commençaient leur journée de travail quand le Boeing d'American Airlines est venu s'écraser sur le haut de la tour. Il...
Bruno Dellinger a quarante ans. Il dirige une société dont les bureaux étaient installés au 47e étage de la tour n°1 du World Trade Center. Lui et ses trois employés commençaient leur journée de travail quand le Boeing d'American Airlines est venu s'écraser sur le haut de la tour. Il raconte ici, avec un rare sens du détail, les événements qui ont bouleversé sa vie et changé la face du monde. De l'impact à aujourd'hui, en passant par son évacuation in extremis et les semaines de psychose qui ont suivi, il déroule le film du chaos.Avec franchise et émotion, il ne cache rien de ses réactions pendant et après le drame, de ses traumatismes, du climat de psychose qui a envahi la ville. Il raconte comment le 11 septembre a modifié non seulement le cours des choses mais aussi leur sens, s'interroge sur la façon de surmonter un tel choc, de se reconstruire quand tout un monde s'écroule. À la lumière de l'épreuve qu'il a traversée, Bruno Dellinger dresse un portrait contrasté et sensible de ce pays extraordinaire, cette Amérique où il a choisi de vivre depuis une dizaine d'années. Il porte un regard lucide sur New York, cette ville exigeante et parfois impitoyable pour le jeune immigrant qu'il fut, mais dont la folle énergie a permis à ses habitants de surmonter l'épreuve qu'ils ont subie. Avec le recul, il analyse aussi les réactions du monde face à l'Amérique meurtrie et la riposte militaire en Afghanistan.Un an après le choc, un ouvrage essentiel, d'une grande qualité littéraire, témoin d'une émotion encore intacte en chacun de nous.
J'ai pourtant bien discerné qu'il s'agissait d'un avion… Au 47e étage du WTC, la magie, c'était avant tout le silence.Soudain, j'entends le vrombissement strident des moteurs de l'appareil qui s'approche à toute allure de nous. Je ne comprends pas immédiatement, je relève la tête de mon ordinateur et l'impact d'une violence inouïe suit immédiatement. Trois secondes plus tard des tonnes de débris, des poutrelles d'acier, du verre, du kérosène, du feu, des corps peut-être, dégringolent devant nos yeux médusés. Nous sommes choqués, l'inquiétude se lit sur les visages. Suzanne, d'ascendance irlandaise, a le teint d'un naturel très pâle, transparent, mais là, elle est livide. Jonathan, plus sanguin, exhorte sa collègue au calme pour masquer son propre trouble. Le bâtiment oscille violemment, Jonathan pense qu'il s'agit d'un tremblement de terre. Vingt secondes après l'impact, le bâtiment tangue encore si fort que je dois tenir Suzanne par les épaules pour éviter qu'elle ne tombe. «Ne vous inquiétez pas, c'est sûrement un avion qui s'est écrasé contre le bâtiment.» Je ne mesure pas l'absurdité de ma remarque. Au fond de moi, je me dis que c'est un crétin qui a fait une erreur de pilotage, qui a explosé son avion de tourisme sur le bâtiment. Comme le bombardier qui s'était écrasé en 1945 sur l'Empire State Building: quatorze morts, pas de quoi paniquer. Ce qui est bête, c'est qu'on va perdre plusieurs jours de travail.Jonathan et Suzanne ouvrent la porte d'entrée pour essayer de comprendre, déjà le couloir est enfumé, infesté d'une persistante odeur de kérosène. Ils aperçoivent notre voisine, une rescapée de l'attentat de 1993 qui s'enfuit en courant. Ils ne m'entendent même pas leur dire d'évacuer. Ils ramassent deux ou trois affaires, Suzanne attrape son sac d'une main, son thé et la banane de son petit déjeuner dans l'autre, et ils sont dans le couloir. Moi, je veux absolument faire des sauvegardes informatiques. Et puis j'entends une voix me chuchoter que le capitaine du navire se doit de partir en dernier. Alors je raccroche d'abord les tableaux qui sont tombés. Puis je passe tout en revue, j'éteins toutes les machines, la photocopieuse, le répondeur, la machine à timbres, les éclairages. J'enclenche une sauvegarde et, pendant ce temps, j'éteins les autres ordinateurs…[…]La foule qui descend avec moi est multicolore, bigarrée, à l'image des entreprises installées dans ces tours, à l'image de New York qui attire comme l'aimant une immigration venue de toute la planète. Des gros qui transpirent dans la chaleur étouffante, des petits discrets, des Asiatiques, des Indiens, des Noirs, des Blancs, des Juifs, des Arabes, des accents, tous les accents… On parle, de tout et de rien. De l'évacuation bien sûr, mais que dire? Alors on parle des résultats sportifs ou bien de dossiers en cours. Soudain un grand type en bras de chemise, juste derrière moi, reçoit un message texte sur son portable annonçant l'attaque de la tour n°2. Il avertit ceux qui l'entourent mais personne ne panique, personne ne comprend vraiment. Je lui demande si c'est un attentat, il me répond qu'il «y en a marre de ces mecs, qu'il n'y a qu'à les bombarder et les anéantir». Je comprends sans comprendre, je ne m'inquiète pas, tout cela reste très conceptuel. La preuve? On reprend la descente, lentement mais sûrement, sans panique. C'est pas comme ça un attentat! Un attentat, les gens courent, les bombes explosent! Ça ne peut pas être un attentat.Des collègues descendent ensemble et la journée continue, perturbée certes, mais personne n'imagine que le bâtiment puisse s'écrouler. Pourtant l'odeur de kérosène est entêtante, les tubes de néon le long des murs accusent les traits, l'inquiétude, la lividité de certains. À intervalles réguliers, un hurlement relayé d'étage en étage retentit du haut en bas de la tour. «Priority! Priority!» Un brûlé, l'air hagard, descend tant bien que mal, soutenu par un camarade ou par un inconnu, choqué, cloqué, les vêtements et les cheveux brûlés, l'épiderme mangé par les flammes, des lambeaux de peau sombre se détachant sur la chair à vif. En silence, la longue file se colle contre le mur jaune et détourne pudiquement le regard. Pendant quelques minutes, un silence gêné salue la douleur; les conversations ne reprennent que lentement.